Une francophonie en évolution profonde

 Yves Montenay.


Yves Montenay nous dresse un bilan de la situation actuelle de la langue française et de la Francophonie ainsi que des différents dangers qui planent sur elles.


Par Yves Montenay - Centralien, Sciences Po, docteur en démographie politique. Il a eu une double carrière de chef d’entreprise et d’enseignant en grandes écoles. Il est l’auteur d’ouvrages de démographie et de géopolitique et tient le blog de géopolitique yvesmontenay.fr.


Une francophonie en évolution profonde

En tant que témoin de l’histoire du XXe siècle, directement ou par témoignage direct, j’ai vu s’écrouler plusieurs bastions de la francophonie, de l’intelligentsia russe à partir de 1917 à celle de l’Indochine à partir de 1954 puis de « l’Europe de Bruxelles » autour de l’an 2000.
    
Cependant le nombre de francophones, et probablement leur proportion dans le monde, n’a jamais été aussi élevé. Cette contradiction cache un profond changement de nature, et l’évolution semble s’accélérer.

Je commence par rappeler brièvement un historique, qui est développé dans mon livre La francophonie paru en 2015, « La langue française arme d’équilibre de la mondialisation », où exposait l’histoire du français et son implantation géographique et professionnelle. Je me bornerai à évoquer seulement ici l’élimination des élites francophones de nombreux pays.


I. Les élites francophones ont été détruites par une série de révolutions

Ces révolutions ont dans un premier temps massacré ou poussé à l’exil des intelligentsia qui avaient le français comme langue de culture, voire d’éducation. Ensuite, dans un deuxième temps ils ont interdit le droit ou de fait le français pour couper toute influence culturelle avec un pays réputé pousser à la liberté intellectuelle. 

Quand, beaucoup plus tard, ces pays ont plus ou moins abandonné leur isolement économique et commercial, et que la nécessité d’une langue étrangère est réapparue, c’est en général l’anglais qui a été choisi, car il était devenu entre-temps la langue commune des acteurs économiques et commerciaux des pays partenaires. 

On reconnaît ce qui s’est passé en Russie, en Indochine, et dans la plupart des pays d’Europe orientale du fait des révolutions communistes à partir de 1917. 

On reconnaît aussi ce qui s’est passé, et se passe encore, du fait des islamistes au Proche-Orient. Les francophones, souvent chrétiens, ont émigré d’une part sous la pression islamiste et d’autre part parce que leur qualification leur permettait d’être accueillis plus facilement à l’étranger et notamment en France.

Au Sahel, les islamistes ferment les écoles francophones du Mali et du Burkina, les remplacent par des écoles coraniques en arabe et renvoient les filles à la maison.

Dans les pays musulmans épargnés par des guerres civiles, on voit revenir des étudiants formés dans les universités d’Arabie, qui distribuent largement des bourses. Ils s’indignent de voir le fonctionnement des entreprises et des administrations se faire en français et font pression pour passer à l’arabe.

Enfin il y a les révolutions nationalistes, la plus grave étant celle de l’Égypte des années 1950, où l’élite francophone voyait auparavant venir un statut du français deuxième langue nationale. On constate une tendance analogue en Algérie, même si le français y reste bien implanté.

À ces violences subies par les élites francophones, s’ajoutent les séductions de l’action culturelle anglophone.


II. L’action culturelle anglo-américaine 


Cette action culturelle a eu d’importantes conséquences linguistiques en trois temps : à la fin de chaque guerre mondiale, puis pendant la période allant de l’admission du Royaume-Uni à Bruxelles à celle des pays européens ex-communistes.


À la fin de la première guerre mondiale, le monde constate que l’Amérique, jusque-là relativement lointaine, est devenue un acteur important militairement et économiquement. Le français qui était la langue diplomatique internationale, a dû alors partager son rôle de langue officielle des traités avec l’anglais.


À la fin de la 2nd guerre mondiale, le poids de l’Amérique augmente considérablement. Ils ont fourni le gros des troupes et surtout du matériel, même en URSS. Après la guerre, ils appuient largement la reconstruction de l’Europe occidentale, financièrement par le plan Marshall qui comprenait en contrepartie l’obligation de laisser entrer les films américains en Europe.


En 1973, l’Angleterre entre dans l’Union Européenne. Le fonctionnement de « Bruxelles », qui était en français seulement, devient bilingue. Une dizaine d’années après la chute du mur, les anciens pays communistes rejoignent l’Union européenne. Leur élite jadis francophone a été tuée ou dispersée pendant la guerre, tandis que les jeunes bénéficient d’une distribution massive de bourses américaines. 


Cette anglicisation des élites européennes et mondiales ne découle pas seulement de l’action des Etats anglo-saxons. Elle est largement privée, car mise en œuvre par les universités et les entreprises. 


En effet, les universités américaines sont très chères et ont ainsi des moyens importants qu’elles utilisent pour distribuer des bourses d’études dans le monde entier, alors les universités françaises sont quasi gratuites et donc pauvres. 


Les élites du monde entier, y compris les Chinois jusqu’en 2020, vont y faire leurs études, une partie y reste avec des postes importants en entreprise. Ils rejoignent les talents des plus brillants des « jeunes pousses » (start-up) de France et du monde entier qui sont rachetées par des entreprises américaines.


L’anglais devient la langue commune de la plupart des peuples européens, le haut personnel ayant été formé aux États-Unis ou en Angleterre, et le français disparaît presque complètement du fonctionnement de la commission européenne, malgré son statut théoriquement égal à celui de l’anglais. Le Brexit n’y a rien changé, puisqu’un Tchèque et un Hongrois n’ont toujours que l’anglais comme langue commune.


L’ensemble des moyens politiques et culturels mis en œuvre par les Anglo-américains est ressenti par certains Européens comme un complot contre leurs cultures. Les anglo-américains répondent qu’ils ne font qu’une action normale de promotion de leur langue, et que nous n’avons qu’à en faire autant.


III. Une série d’erreurs politiques


D’une manière générale, à part le général De Gaulle et Georges Pompidou, nous n’avons pas eu de politique de diffusion du français. Et pour ce dernier, il faut signaler l’énorme erreur de l’admission de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne. Erreur d’un point de vue linguistique bien sûr, je ne parle pas ici de l’aspect géopolitique et économique. 


De même, l’entrée des pays de l’Est après la chute du mur n’a pas été préparée sur le plan linguistique, j’en ai été le témoin à l’époque en Roumanie.


Autre erreur de nos responsables : après les indépendances, il y a eu la réussite de « la grande coopération » qui a vu des dizaines de milliers de jeunes français devenir enseignants dans les anciennes colonies, ce qui y a relancé le français. D’innombrables responsables de niveau moyen ont travaillé, puis fait travailler en français à la suite de cette coopération pendant une quarantaine d’années ! Mais ils sont actuellement retraités…


Car, malgré la demande des pays concernés, et notamment du Maroc, nous avons mis fin à cette coopération pour des raisons budgétaires, doublée probablement d’une absence de vision stratégique.


Je rajoute qu’ayant vécu cette transition du français vers l’anglais en Europe et au Maghreb, j’ai été frappé par l’inefficacité de notre réseau diplomatique dans ce domaine. Il m’a semblé « se concentrer sur les petits-fours », c’est-à-dire des réunions élitistes, alors que celui des Anglo-Saxons bombardent les étudiants d’avenir de bourses vers leurs universités et multiplient les manifestations locales grand public. Et notre réseau autorise des intervenants français à intervenir en anglais ! 


IV. La montée de l’anglais en France


Les défenseurs du français sont pessimistes dans notre pays, car ils constatent un envahissement par l’anglais du vocabulaire courant, des noms propres (entreprises, marques…) et des expressions. Et le choix de l’anglais comme langue de travail dans beaucoup de réunions professionnelles.


La hiérarchie moyenne des entreprises est impressionnée par l’usage de l’anglais dans les couches supérieures et à l’étranger, et ne demande même plus à leur interlocuteur s’il parle français, alors que ça reste relativement fréquent dans beaucoup de pays : en Arabie Saoudite réputée anglophone, j’ai travaillé en français avec les très nombreux Libanais qui avaient des postes qualifiés.


L’usage croissant de l’anglais se vérifie aussi bien dans les milieux dirigeants, du fait de leurs obligations internationales, que dans des milieux populaires, via les films, chansons, marques et autres moyens de l’influence américaine … maintenant relayée par celle de pays n’ayant rien à voir avec les États-Unis, mais qui utilisent des termes anglais pour tout produit ou manifestation en dehors de leurs frontières.


Bref, dans la plupart des pays, on estime que tout étranger doit être abordé commercialement ou culturellement en anglais. C’est auto-pénalisant, car celui qui se voit aborder en anglais par un Français en déduit qu’il n’a aucun intérêt à apprendre le français.


Mon expérience professionnelle me fait cependant douter de l’efficacité de l’usage de l’anglais en entreprise dans les pays francophones. Les récentes initiatives du MEDEF vont heureusement dans ce sens, avec la remise à l’honneur de la francophonie économique.


V. Une pression sociale bien plus efficace qu’un complot américain


Beaucoup de militants du français voient dans l’anglicisation le résultat d’un complot ou d’une pression politique des États-Unis, ce qui recoupe l’antiaméricanisme de beaucoup de Français. Mais à mon avis, ce n’est pas l’essentiel, car l’anglicisation est d’abord une demande des parents. 


D’abord dans l’enseignement supérieur : « il faut préparer nos enfants à une carrière à l’étranger », ce qui est de plus en plus fréquent, ou en France dans une entreprise « multinationale » disent les plus aisés. Tandis que dans les milieux modestes, il s’agit de permettre aux enfants de monter dans la hiérarchie. Tout cela a mené à introduire l’anglais dans l’enseignement primaire. Les résultats sont très mitigés et il est probable qu’il y aura une pression supplémentaire pour les améliorer.


Le très réel poids des Anglo-Saxons n’est donc pas le problème principal. En effet, les Américains sont de moins en moins respectés. Leur repli l’Afghanistan a frappé l’opinion mondiale et s’ajoute à de bien d’autres reculs. Mais l’anglais n’est plus seulement la langue du monde anglo-saxon et de ses anciennes colonies, mais devient une sorte de « latin du Moyen Âge » à l’occasion de la mondialisation.


VI. Les élites politiques ne font que suivre


Face à cette demande massive des parents, les élites politiques ne peuvent que suivre leurs électeurs, d’autant que les élus sont eux-mêmes souvent des parents. 


En politique, le français souffre d’être surtout défendu par la droite identitaire et une partie de la gauche, notamment les communistes. Ces courants politiques insistent sur un argument tout à fait valide à mon avis : la langue française constitue une partie essentielle de la France.


Mais à l’étranger, cette assimilation du français à la France peut être contre-productive. Et nous en venons alors à la transformation de la francophonie.


VII. La géographie actuelle du français


Cette assimilation du français à la France irrite à l’étranger, un peu en Belgique, Suisse et Canada, mais surtout en Afrique ! D’où la nécessité de rappeler que le français y est une langue africaine et non une langue coloniale.


Il faut donc préciser que le français n’appartient plus à la France. Ce qu’a fait le président Macron le 20 mars 2018, « Le français s’est émancipé de la France, il est devenu une langue monde ».


De plus il est de notre intérêt, et de celui de tous les francophones, de bien rappeler aux États-Unis, à la Chine et bien d’autres que le français ce n’est pas seulement la France, mais une bonne partie du monde, et que 80 % des francophones sont aujourd’hui installés ailleurs qu’en France.


Un tour du monde va le préciser.


VIII. En Europe, une lointaine deuxième place derrière l’anglais


L’Europe comprend, outre la France, trois pays francophones, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse.


En Belgique et en Suisse, le français est minoritaire et la situation linguistique est figée, dans le calme dans ce dernier pays mais dans l’hostilité réciproque en Belgique, tandis que le plurilinguisme avec l’allemand et le luxembourgeois l’emporte massivement au Luxembourg.


Dans ces trois pays le français est enseigné à l’ensemble de la population.


En Suisse où le poids du français augmente doucement tout en restant très minoritaire (21%), son enseignement est critiqué comme deuxième langue dans la partie germanophone qui préférerait l’anglais, demande refusée jusqu’à présent.


En dehors de ces trois pays partiellement francophones, le français est la deuxième langue enseignée après l’anglais, mais loin derrière, et seulement dans les pays où il y a deux langues étrangères au programme.



Il garde une place honorable dans certains pays comme la Roumanie, Chypre et le Portugal mais inférieure à l’époque où il était obligatoire en tant que représentant de la culture humaniste. Et dans le couple franco-allemand, seulement 15% des élèves de chaque pays apprennent la langue de l’autre.


IX. Au Québec, une francophonie contrastée


On cite souvent le Québec comme un pays francophone. La réalité est plus complexe.


Le Québec est une province canadienne juridiquement et économiquement, où l’anglais a les mêmes droits que le français, malgré quelques textes symboliques.


De plus, le Canada est un pays confédéral, où le pouvoir est partagé entre Ottawa, à dominante anglophone, et le Québec. À titre d’illustration, remarquons que le Québec et le Canada font séparément partie de l’Organisation Internationale de la Francophonie.


Le poids du français dans l’ensemble du Canada diminue, du fait du développement de certaines provinces plus rapides que celui du Québec, et donc de l’immigration qui les alimente. Le français ne représente aujourd’hui que de 23 % de la population canadienne, auxquels on peut ajouter quelques points d’anglophones bilingues.


Au Québec, la métropole de Montréal, 2,7 millions d’habitants, se « bilinguise » de plus en plus. La majorité francophone y est « minorisée », notamment par le nombre d’Américains et de Canadiens anglophones de passage. Ça ne se constate pas statistiquement, mais plutôt culturellement.


Un symptôme en est qu’une petite partie de la jeunesse francophone veut y faire ses études secondaires en anglais : « En 2018, 3000 étudiants de langue maternelle française sont inscrits au cégep (enseignement secondaire) anglais à Montréal » avec comme résultat paradoxal de diriger l’argent des contribuables québécois vers l’anglicisation. Et les immigrants francophones, souvent africains ou haïtiens, ne suffisent pas pour maintenir l’effectif de l’enseignement secondaire en français, du fait de la chute de la fécondité des Québécois.


Ce phénomène, parmi d’autres, illustre un certain affaiblissement de l’identité québécoise à Montréal : la « révolution tranquille » de 1963 qui avait relancé le français au Québec était une réaction au mépris des anglophones. Maintenant que ce mépris a largement disparu, la motivation communautariste en faveur du français a diminué : la « révolution tranquille » est menacée par son succès !


Par contre, presque tout le reste du Québec est largement unilingue français et y assimile les immigrants.


La situation en Afrique contraste avec ce tour d’horizon globalement pessimiste.


X. En Afrique


C’est l’Afrique qui explique l’augmentation du nombre de francophones malgré tous les revers que nous avons vus au nord. En effet Le nombre de francophones africains – plus de de 200 millions –  est en augmentation rapide, sauf dans les zones de guerre au Sahel où l’école recule.


XI. Un enracinement du français dans de nombreux endroits

Le point important, et dont le grand public n’a pas conscience est l’enracinement du français comme langue maternelle au bout de trois générations scolarisées, ce qui est de plus en plus fréquent dans la bourgeoisie, dans les milieux chrétiens et sur le littoral atlantique, trois données qui se recoupent assez largement. 

Mais beaucoup d’Africains et de spécialistes de l’Afrique s’autocensurent, car il est de bon ton de dire que « le français est une langue coloniale, l’authenticité c’est la langue locale ». Sans ajouter que dans de nombreux endroits, « la langue locale, c’est le français ».

Une illustration parmi mille autres : dans l’immense république démocratique du Congo, les gospels se chantent en français.

Et pour l’instant la vague de francophobie et de russophilie qui déferle au Mali, au Burkina et en République Centrafricaine ne touche pas la langue française, à part quelques déclarations sans suite pratique.

Une autre illustration positive : beaucoup de Subsahariens qui voudraient faire leurs études supérieures en France y renoncent pour des raisons de visa ou de coût et restent au Maghreb. Ils empêchent ainsi certains professeurs à faire la partie informelle de leur cours en arabe dialectal. Et les très dynamiques hommes d’affaires du Maroc, en grande majorité francophones, s’ils constatent que l’anglais est nécessaire pour tel ou tel marché, constatent également que leurs clients sénégalais ou ivoiriens fonctionnent en français.

Enfin, la diffusion de la Coupe du Monde de football 2022 au Qatar a illustré, auprès de 5 milliards de téléspectateurs, la francophonie des équipes africaines.

Mais la situation est très différente d’un pays à l’autre, et il faut notamment distinguer le Maghreb de l’Afrique subsaharienne francophone.


XII. Une brève revue géographique 


Au Maghreb, l’arabe est la langue officielle. Théoriquement, les langues berbères le sont aussi mais en pratique ce n’est pas vérifié. Le français subit d’une part la pression l’arabe via l’enseignement public et les médias de la péninsule arabique, et d’autre part celle de l’anglais, favorisée par la mondialisation et les gouvernements. 


En sens inverse joue en faveur du français la profonde imbrication entre les sociétés maghrébines et francophones du Nord, concernant tant les entreprises que les individus avec des familles à cheval sur le Nord et le Sud et de nombreuses entreprises et institutions fonctionnant en français.


En Afrique subsaharienne l’enseignement primaire, secondaire et supérieur est en général exclusivement en français. Le problème pour l’instant est que les niveaux d’éducation et d’alphabétisation y sont faibles en dehors des groupes géographiques ou sociaux dont nous avons parlé.


Les régions bilingues, et parfois multilingues sont par exemple celle de la zone du bambara au Mali ou du wolof au Sénégal.


La République démocratique du Congo, ex Congo belge, mérite une place à part du fait de ses quelques 110 millions d’habitants.


Le colonisateur belge a eu la sagesse de ne pas y introduire le flamand. Le français s’y diffuse, et il y a maintenant une cinquantaine de millions de francophones d’après l’OIF, ce qui ferait de Kinshasa, 17 millions d’habitants, la première ville francophone du monde avant Paris.


Cet aperçu historique et géographique de la francophonie nous suggère que cette dernière se transforme profondément.


XIII. Un changement de nature ?


La francophonie signifie de moins en moins l’attachement à la France, le français est de plus en plus une langue de masse tant sur le terrain que sur Internet, tandis que son rôle culturel piétine.


XIV. La francophonie n’empêche pas la francophobie


Il y a une explosion, au moins apparente, de francophobie notamment au Mali et au Burkina. C’est du moins ce qu’on constate sur les réseaux sociaux où une partie des intervenants seraient payés par les Russes. Mais il est difficile d’en connaître la proportion.


La propagande malienne antifrançaise se déchaîne, diffusée par la junte au pouvoir au Mali, appuyée par les mercenaires russes qui se payent sur la production d’or locale.


Le charnier de Gossi proclamé comme venant de l’armée française, s’est révélé provenir des Russes comme les images aériennes l’ont prouvé, tandis qu’un ministre malien a proclamé à l’ONU que les djihadistes étaient armés par la France, . On retrouve la « vérité inversée » que les Russes déversent dans le monde entier et notamment à propos de l’Ukraine.


Je publie mes articles sur des groupes Facebook africains pour voir les réactions du public, et constate une francophobie délirante et une idéalisation des Russes qui semble un peu artificielle, les « vive Poutine ! » apparaissant quel que soit le sujet de discussion.


XV. Quid du français culturel ?


Dans le reste du monde, le français qui était une langue de culture, et à ce titre la deuxième langue des élites de nombreux pays, y compris l’empire ottoman, a perdu une partie de ce statut. D’abord, comme nous l’avons vu, parce que ces élites ont souvent été éliminées par des révolutions (URSS, Europe orientale, Iran, Indochine …).


Ensuite parce que la culture est devenue moins littéraire, et plus économique, technique… bref plus utilitaire.


Mais on peut également remarquer l’absence de fortes personnalités culturelles françaises de réputation internationale.


Certes, deux récents prix Nobel de littérature, Patrick Modiano en 2017 et Annie Ernaux en 2022 nous mettent encore en situation honorable, ainsi que le grand succès de Guillaume Musso, peut-être le français le plus lu depuis 11 ans, avec 1.278.000 exemplaires vendus en 2021.


Certes, le déclin relatif de la littérature française est en partie normal, puisqu’au fur et à mesure de leur développement, les élites d’autres pays prennent leur place naturelle. Ce phénomène touche tous les pays occidentaux, pour la production littéraire comme pour l’économie en général.


Certes encore, la culture française bénéficie de son passé : Jules Vernes est le deuxième auteur le plus traduit au monde, après Agatha Christie. D’autres disent que c’est « Le petit prince », en troisième position après la Bible et le Coran.


Heureusement la francophonie culturelle va probablement être relayée par une percée de l’élite africaine.


Ce phénomène a déjà joué dans le monde anglophone avec les succès des auteurs indiens, dont Salman Rushdie et d’innombrables écrivains africains et antillais. En langue française, chacun connaît l’œuvre de Léopold Sédar Senghor avant sa présidence du Sénégal, puis son entrée à l’Académie française. Aujourd’hui, on peut citer Mohamed Mbougar Sarr, sénégalais, prix Goncourt 2021. On peut aussi penser à Alain Mabanckou, l’écrivain africain francophone le plus connu. Mais il enseigne aux États-Unis à l’UCLA (Los Angeles), et non dans un pays francophone… tout comme Souleymane Bachir Diagne, autre figure francophone internationalement reconnue, mais en histoire et sociologie cette fois.


XVI. Le français progresse sur Internet


Un autre champ de bataille du français sont les médias audiovisuels et les réseaux sociaux. Outre les médias proches des gouvernements (français, québécois, africains…), on y trouve des médias arabophones ennemis comme les télévisions wahhabites ou celle des Frères musulmans. On y trouve également de virulents médias russes ou chinois, qui peuvent être francophones, anglophones ou en langues locales. Le gouvernement malien qui est en froid avec la France a interdit RFI, que l’on peut néanmoins se procurer par d’autres moyens.


Pour l’Internet, Daniel Pimienta, responsable de l’Observatoire de la diversité linguistique et culturelle dans l’Internet, constate que l’anglais est maintenant très minoritaire et a été rejoint par le mandarin (langue officielle de la Chine), avec 20 % des contenus de la Toile pour chacune de ces deux langues. Les 60 % restants se fractionnent en un nombre croissant de langues au fur et à mesure que leurs locuteurs accèdent aux réseaux.




Je fréquente les réseaux utilisés par les Maghrébins « du pays » ou de la diaspora, et constate qu’ils sont souvent bilingues français-arabe, avec traduction automatique à portée de la main.


La progression du français dans l’Internet mondial continue et devrait s’accentuer avec le meilleur raccordement des réseaux africains. Le français pourrait dépasser l’espagnol sur la Toile pour des raisons démographiques, mais, pour les mêmes raisons, ne pourra pas détrôner l’anglais ou le mandarin. L’hindi avec plus de 500 millions de locuteurs sera un concurrent sérieux, mais qui restera régional.


XVII. Vue d’ensemble 


Certes, le français reste largement la 2e langue étrangère après l’anglais, notamment grâce à son image culturelle. Mais l’élite qui l’utilisait depuis 3 siècles principalement en Europe et dans les Amériques, a aujourd’hui des préoccupations plus économiques ou scientifiques, domaines où l’anglais est dominant. 


Si en littérature le relais par d’autres pays francophones est vraisemblable, cela paraît beaucoup plus difficile sur le plan scientifique, notamment parce que la recherche est le fait d’équipes multinationales. 


En sens inverse le français est de plus en plus une langue de masse dont le poids en nombre de locuteurs augmente, notamment du fait de son enracinement dans certaines régions africaines. Ce qui a par ailleurs l’avantage d’accentuer aux yeux des tiers son caractère international.


Les optimistes, dont je suis, pensent néanmoins que le français va garder deux atouts. Le premier est qu’en devenant une langue de masse il va peser économiquement et politiquement, et perdre son image de langue élégante mais locale et surannée. 


Le deuxième atout est un possible retournement du snobisme en sa faveur. Autant il était, et il est encore, valorisant de faire valoir sa connaissance de l’anglais, ce ne sera plus vrai lorsque le bon peuple l’utilisera largement. Et comme toute élite veut se distinguer, celle des pays non francophones pourrait reprendre le chemin d’une langue de culture renommée à côté de leur langue principale de travail. 


Un peu comme le grec chez les Romains.

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