Guy Espèche, vétéran de la Guerre d’Indochine et d’Algérie, nous a quittés ce 10 février 2023. Pour lui rendre un dernier hommage, nous republions ici un entretien qu’il nous avait accordé en juin dernier. « Le Contemporain » souhaite par ce biais saluer une vie au service de la France et souligner son attachement et son combat sans faille pour le devoir de mémoire. Toutes nos condoléances à Marie-France, son épouse, ainsi qu’à sa famille.
Guy Espèche † (1933-2023) : Vétéran de la guerre d’Indochine et d’Algérie.
Propos recueillis par Elias LEMRANI
Guy Espèche, vétéran de la guerre d’Indochine, vivant aujourd’hui dans les Yvelines, nous a fait l’honneur de nous accorder un entretien sur son passé de militaire. Ce précieux témoignage revêt une grande importance de nos jours, à l’heure où la guerre réapparaît sur notre continent. Guy Espèche est, à 89 ans, un des derniers vétérans de la guerre d’Indochine à pouvoir encore témoigner de ce chapitre méconnu de notre histoire.
I. Un engagement au service de la France
Guy Espèche naquit en 1933, son père s’occupait d’exploitations foncières à Tourane, actuelle Danang, en Indochine. Il grandit au milieu des brousses vietnamiennes, entouré de ses animaux, tels que son cheval ou son chien. A l’âge de six ans, en 1939, il s’en alla étudier à Hanoi, la grande ville du Nord. En 1946, il partit à 13 ans en métropole et réalisa son service militaire en 1952.
Une fois breveté parachutiste, il embarqua en 1953 à Marseille, sur le navire SS Pasteur, et arriva en mai de la même année en Indochine, après un voyage de quatre semaines. A son arrivée, lui et ses camarades ne connaissaient en rien les détails de leur mission, qui consistait à combattre les forces communistes du Viêt-Minh qui s’étaient emparées de Hanoi le 19 décembre 1945.
A son départ, Guy Espèche savait les dangers auxquels il allait devoir être confronté en Indochine. Il rejoignit l’unité combattante du premier bataillon parachutiste colonial (BPC), un régiment mobile dont les courtes interventions avaient pour objectif de « nettoyer » et de « pacifier » une région, pour reprendre ses mots.
Le régiment parachutiste c’est pour les interventions comme le RAID. On a besoin de nous, on nous envoie. On va voir, on nettoie, on s’en va
Lorsque leur unité était appelée pour une intervention, seuls leur chef de section et leur pilote étaient au courant du lieu d’opération et des objectifs de celle-ci. Les hommes n’étaient mis au fait qu’une fois atterris lors d’un petit briefing. Ne connaissant pas à l’avance le terrain sur lequel ils débarqueraient, la capacité d’adaptation des troupes fut essentielle tout le long de leur mission.
II. La vie dans les camps
En 1954, Guy Espèche combattit lors de la bataille finale de Diên-Biên-Phu, il se trouvait sur le point d’appui français Eliane II. Bien que l’opinion publique en France s’attendait à une victoire tricolore, Diên-Biên-Phu fut bel et bien une terrible défaite. Sur les 10.000 hommes de l’Union française ayant été mobilisés pour l’occasion, ce sont plus de 7.000 qui périrent au combat. Guy Espèche en sortit blessé par balle et emprisonné par le Viêt-Minh. Il fut transféré vers un des 130 camps de prisonniers du pays avec quelques milliers d’hommes. Pour s’y rendre, ils durent parcourir 700 km, pieds nus, à travers la jungle.
Le camp, sous forme de village, était insalubre, ses installations délabrées, sales et promiscues. La vie des prisonniers dans ces camps se limitait à l’attente désespérée d’une libération. Ils avaient à peine de quoi se nourrir, n’avaient droit qu’à une poignée de riz par jour et se retrouvaient à devoir manger des racines pour lutter contre la faim. Beaucoup ne supportèrent pas ce traitement et moururent de faiblesse. Ces morts étaient alors sommairement inhumés. De 1945 à 1954, 37.000 militaires furent prisonniers dans les camps du Viêt-Minh, 71% y moururent, soit près de 26.200 personnes.
Il y’a la mort au combat, c’est normal, il y a la mort due aux maladies et il y a la mort de faiblesse
Ces camps avaient à leur tête des commissaires politiques, ils étaient missionnés par le Viêt-Minh pour pratiquer un véritable lavage de cerveau auprès des prisonniers. Souvent formés par les Soviétiques, ces commissaires devaient faire adhérer les prisonniers à l’idée que l’Occident colonialiste opprimait le peuple vietnamien sur fond de discours laudatifs envers le communisme. Faisant ainsi fi des grands travaux de modernisation entrepris par la France en Indochine, passant par la construction de nombreux chemins de fer, routes, ports, hôpitaux et écoles.
Il y avait un commissaire politique français adopté par le régime, c’était le plus mauvais de tous. On ne s’imagine pas comme ils sont salauds !
Certains cédèrent aux pressions du commissaire politique et se convertirent, à contre cœur, à l’idéologie marxiste. D’autres attendirent la libération, comme Guy Espèche. Pour contrecarrer cette propagande, les prisonniers durent disposer de grandes capacités mentales et psychiques.
Les prisonniers étaient divisés en groupes de quarante-huit, avec à leur tête un responsable qui devait retransmettre les paroles du commissaire politique. Dans le groupe de Guy Espèche, c’est lui que ses camarades choisirent pour le poste. Car le fait qu’il ait passé sa jeunesse en Indochine, faisait qu’il connaissait mieux que quiconque les mœurs vietnamiennes et la faune et la flore locales. Ses connaissances étaient d’une grande aide pour la survie de ses camarades, souvent Français de métropole ou de l’Empire qui découvraient encore ce territoire.
J’avais demandé au chef de camp si je pouvais casser du bois. Alors mes copains me dirent "mais qu’est ce que tu fais ? ". Pourquoi je casse du bois ? Car ça fait du muscle tout en rendant service
Guy Espèche parvînt notamment à leur offrir des patates douces trouvées dans un village, en les informant de leur forte teneur en sucre. Après les avoir épluchées, ils les enterrèrent pour ne pas qu’elles fussent vues par les Viêts. De même, il réussit à leur donner de délicieuses coques d’eau, qu’ils firent cuire. Mais aussi des momordiques, cucurbitacées aux propriétés purgatives permettant de lutter contre les funestes dysenteries qui sévissaient dans les camps. Les prisonniers étaient laissés à eux-mêmes, sans soin médical. Guy Espèche était ainsi l’homme idoine pour ses camarades.
Au bout de quatre mois de détention, un échange de prisonniers put se réaliser entre Paris et le Viêt-Minh. Sur les 40.000 hommes attendus par les Français, seuls 10.000 survivants revinrent, dont Guy Espèche. Ils furent emmenés à Tai-Hoa, où un navire de rapatriement les attendait. A bord, ils n’eurent droit qu’à un simple bouillon, puis à des tranches de jambon, le travail de renutrition prenant un certain temps au vu des sévices inhumains et de la sous-alimentation dont ils faisaient l’objet dans les camps viêts. Guy Espèche ne pesait alors que 38 kg.
40.000 soldats français furent fait prisonniers par le Viêt-Minh. Ils étaient éparpillés de droite à gauche dans de nombreux camps, ils avaient à peine de quoi manger : un morceau de pain, du riz. Le résultat est que quand on voulut libérer les soldats français, on pensait qu’on allait en récupérer 40.000 mais on n’en récupéra que 10.000, 30.000 étaient morts.
III. La vie d’après
Plus tard, Guy Espèche participa à la guerre d’Algérie et s’engagea au Sénégal où il rencontra sa future femme, Marie-France. Après avoir réussi le concours d’officier, il servit en Allemagne dans les FFA ainsi qu’en Champagne dans les transmissions puis le matériel. Une vie plus reposée, à l’issue de laquelle il finit sa carrière à Versailles.
Tous ceux qui ont fait la guerre ne veulent plus de guerre, parce que c’est atroce, c’est atroce !
Guy Espèche a souligné que, malgré les conflits qui l’ont ravagé, le Viêt-Nam demeure un magnifique pays. Il a encouragé les nouvelles générations à tout mettre en œuvre pour éviter une nouvelle guerre, qui ne laisserait personne vainqueur mais tous vaincus. Jean-Pierre Claude, membre de l’U.N.C Yvelines, conclut cette rencontre en s’arrêtant sur le sort des civils dans les conflits armés telle que la guerre d’Indochine qui aura fait plus de 150.000 morts civils : « On parle souvent des militaires dans un conflit armé mais la principale victime est bel et bien la société civile, on le voit bien actuellement avec le conflit ukrainien. »
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